jeudi 9 août 2012
La bataille des jeux olympiques -6
Chez les Coubertin, l'instruction qu'ont reçue ses
parents est traditionnelle; celle-là même que l'église catholique conseille fortement aux
familles bourgeoises, par le biais
des Jésuites, voire
des précepteurs particuliers, et
des frères des
écoles catholiques.
Au niveau social
des Coubertin, aristocratie
moyenne, on ne
saurait d'ailleurs mieux confier
l'éducation d'un garçon
qu'à un grand
ordre religieux (Jésuites, Oratoriens etc.). L'éducation que
va recevoir Pierre
de Coubertin sera
surtout le fait
des Jésuites du Collège
Saint-Ignace de la
rue de Madrid
(Paris). La base
de l'instruction sera celle,
immuable, faite de
latin, de grec,
et d'études littéraires. Les sciences ne sont pas encore tenues pour
élément de base de la culture. Thomas d'Aquin rendra célèbre l'adage selon
lequel « la philosophie est la servante de la
théologie » (Philosophia ancilla theologiae) dans la mesure où la
philosophie, en réfléchissant sur les conditions d'un usage cohérent des
concepts et du langage, permet à la théologie de rendre raison de manière fondée
et rationnelle des vérités de foi qui sont, par définition, inaccessibles à la
raison mais non contraires à celle-ci. Il y a donc collaboration hiérarchisée
entre la servante et la maîtresse, toutes deux subordonnées à la science divine,
mais chacune à son rang : la théologie comme science supérieure parce qu'elle
tient directement ses principes de la Révélation et se sert des conclusions de
toutes les autres sciences, tandis que la philosophie, dont les fins sont
ordonnées à celle de la théologie, tient ses principes de la seule raison. Ainsi
le catholicisme opéra le syncrétisme de la philosophie grecque et de la religion, cherchant partout les relais
de sa politique idéologique et la trouvant notamment dans l’esprit du jeune
baron De Coubertin.
Le rang, celui
du 'Faubourg St-Germain',
exige en outre qu'une
éducation esthétique soit dispensée aux adolescents. C'est ainsi que
Pierre de Coubertin sera un excellent pianiste, un dessinateur et aquarelliste
doué, un très bon cavalier. En outre, par choix personnel, il se passionnera
pour la gymnastique, la boxe, l'aviron et l'escrime à cheval (qu'il essaiera en
vain d'imposer dans le programme des Jeux).
L'enseignement du Père Caron, maître de rhétorique du
collège de la rue de Madrid, va être déterminant dans la formation du jeune
Coubertin. D'une part, Pierre découvre la philosophie grecque, et tout
spécialement, le stoïcisme (qui imprégnera tant les concepts du néo-olympisme).
D'autre part, il s'enthousiasme pour l'histoire de l'Hellade. Il devient un
philhellène convaincu et actif. Son goût pour l'histoire moderne va se révéler
après son baccalauréat (1880), quand il sera, durant une année, auditeur libre à
l'École des Sciences politiques. La culture : une longue durée historique Pour
Coubertin (cf. "histoire Universelle" 1921), en-deçà de l'histoire
événementielle, coule le flot jamais tari des cultures et des civilisations.
Cette notion de la longue durée culturelle, qui perdure, quels que soient les
aléas de l'histoire, est la clef qui donne accès à la compréhension politique de
l'œuvre Coubertinienne.
Il aura la révélation de sa vocation au cours de ses
voyages en Angleterre dans les années 1880. Il y découvre l’importance de la
formation par le sport, et surtout qu’il y a « tout un plan de formation morale
et sociale dissimulée sous le couvert des sports scolaires ». Coubertin va alors
devenir un missionnaire du sport, avec deux objectifs centraux : introduire le
sport à l’école, et restaurer les Jeux olympiques. Dans la réalisation de ce
deux objectifs, il se heurte à des difficultés que nous avons peine à imaginer
aujourd’hui, comme par exemple l’opposition d’une partie du corps médical. Mais
Coubertin n’abandonne pas. Il multiplie les publications et crée plusieurs
associations dont le but est d’encourager la pratique du sport. Il organise
aussi de nombreuses manifestations destinées à faire connaître ses idées. Bref,
il devient un formidable homme de communication. Afin de réintroduire les Jeux
olympiques, il fit preuve d’audace et de ténacité : il engloutit d’ailleurs dans
cette affaire la moitié de sa fortune et mourut ruiné en 1937.
À partir de 1875, des fouilles, menées par l’archéologue
allemand Ernst Curtius, avaient eu lieu à Olympie. L’idée commence alors à germer : pourquoi ne pas recréer les
jeux puisqu’on vient de mettre au jour le site historique ? Le 25 novembre 1892,
Coubertin annonce le rétablissement des Jeux olympiques. Là encore,
l’incompréhension est grande. Il se heurte notamment à ceux qui voudraient faire
de ces rencontres sportives une exacte reconstitution des jeux antiques, ou à
ceux qui voudraient que les Jeux soient des compétitions scolaires. Coubertin
retient la date de 1896 pour les premiers Jeux. Il crée un Comité international
olympique (CIO) de 14 membres qu’il présidera jusqu’en 1925. Dès 1894, il fixe
le programme des Jeux : des courses (100 m, 800 m, etc.), de la gymnastique, de
l’escrime, de la lutte, du tir mais aussi de l’aviron, de la natation, de la
« vélocipédie » et même du tennis.
Pour Pierre de Coubertin, « les Jeux Olympiques sont une
grande leçon de philosophie que l’humanité se donne à elle-même. Ils sont le
reflet du bonheur, de la perfection et de l’amour ». Sa définition de
l’Olympisme tient en quatre principes : être une religion, c’est-à-dire une
adhésion à un idéal de vie supérieure, d’aspiration au perfectionnement ;
représenter une élite d’origine totalement égalitaire en même temps qu’une
"chevalerie" avec toutes ses qualités morales ; instaurer une trêve des armes
"fête quadriennale du printemps humain" ; glorifier la beauté par la
"participation aux jeux des Arts et de la pensée".
Le milieu social et surtout l’éducation, ont été les
vecteurs favorisants "l’idéal olympique" du baron. Pourquoi le sport est-il si important pour
Coubertin ? C’est là que les choses deviennent un peu délicates ... Pour lui, le
sport est le moyen de former une élite au service de la nation. On trouve dans
sa bouche des expressions qui n’ont rien à envier à celles qui seront utilisées
plus tard par les nazis : « Le type
(d’éducation) que j’esquisse en ce moment est un type d’élite. (...) Il y a deux
races distinctes : celle des hommes au regard franc, aux muscles forts, à la
démarche assurée, et celle des maladifs à la mine résignée et humble, à l’air
vaincu. Et c’est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont
écartés, le bénéfice de cette éducation n’est applicable qu’aux forts », dit-il
dans une conférence de 1887. Cette conception de l’homme et du sport évoluera de
l’individu à la nation, voire à la race avec l’apothéose des jeux de Berlin, qui
mirent en pratique la vision sportive de Coubertin.
Ses idées réactionnaires, il s’oppose notamment à la
participation des femmes aux compétitions, le mettent en minorité au sein du CIO
dont il démissionne en 1925. Il meurt d’une crise cardiaque en 1937 à Genève.
Enterré à Lausanne, son cœur est inhumé près des ruines d’Olympie.
Même s’il n’est pas l’auteur de ce qui deviendra son
credo « l’important c’est de participer », phrase qui lui a été inspirée par un
sermon de l’évêque de Pennsylvanie : « l’important dans la vie ce n’est point le
triomphe, mais le combat, l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être
bien battu »
Vers un nouvel
idéal olympique à l’image du CIO
Le rêve d’établir un règne de mille ans totalitaire et
païen, établissant à sa tête un nouveau messie et le pape comme leader
religieux, s’est écroulé avec la fin du nazisme. L’idéal olympien de Coubertin
qui voulait contribuer à cela, va donc devoir être entièrement revu et corrigé
pour s’adapter à la nouvelle donne mondiale. Il va falloir trouver au diable un
nouveau champion olympique, qui servira de nouveau prophète et définira un
nouvel axe de développement pour les jeux.
L’idéal de race ayant été balayé, de nouvelles valeurs
‘éducatives’ liées à l’idéal sportif olympien vont devoir être trouvées. Après
Coubertin éduqué à la mode jésuite, viendra le temps de Samaranch et de l’Opus
Dei dont il fait partie. Juan Antonio Samaranch a été président du CIO (comité
international olympique) pendant vingt-et-un ans. Il avait quitté ce poste en
juillet 2001. Seul le baron Pierre de Coubertin, "père"
des Jeux olympiques de l'ère moderne, était resté en fonction plus longtemps que
lui (1896-1925). En 1991, il avait reçu du roi d'Espagne Juan Carlos le titre de
marquis pour son implication dans le mouvement olympique et l'attribution des JO
1992 à Barcelone. Samaranch, fils d’un riche entrepreneur du textile fut tour à
tour adjoint au maire de Barcelone, chef des sports de la délégation provinciale
de la Phalange et des Jeunesses phalangistes, responsable de la Délégation
nationale aux sports et président de la province de Catalogne sous le régime de
Franco avant de présider le CIO de 1980 à 2001.
Il fut un franquiste zélé et il existe nombre de preuves
de ses sympathies fascistes. Ainsi en 1956, écrivait-il par exemple une lettre
au ministre franquiste Antonio Elola paraphée : « Toujours à tes ordres, je te
salue le bras tendu. ». En 1967, il fut nommé ministre des Sports par Franco
lui-même. Au lendemain de la mort du Caudillo, en novembre 1975, celui qui était
alors président de la province de Catalogne eut ces paroles : « Tout est fini et
tout continue, car l’exemple de Franco accompagnera toujours notre
effort ».
Samaranch en uniforme fascisteà genoux, devant le dictateur, le général Franco en 1967. Ils ont prétendu avoir Dieu de leur côté. |
Il a négocié avec le premier ministre Adolfo Suarez un
poste d'ambassadeur à Moscou où les prochains Jeux olympiques s'y disputent et
où il peut alors briguer la présidence du CIO grâce aux relations qu'il tisse
avec les dirigeants du bloc de l'Est et le réseau de son ami et bras droit Horst
Dassler, patron d'Adidas. Juan Antonio Samaranch est utilisé à cette époque par
le KGB, non pas en tant qu'espion mais comme agent d'influence ou à l'occasion
un instrument actif au service des soviétiques, le KGB ayant comme moyen de
pression le fait qu'il ait voulu envoyer illégalement en Espagne par la valise
diplomatique des icônes russes. Ainsi, il sauve les Jeux olympiques de Moscou
malgré le boycott occidental ; il s'abstient de lutter contre le dopage
institutionnalisé du bloc de l'Est ; il couvre des dirigeants sportifs, issus de
l'ancien bloc de l'Est, liés à un scandale de corruption aux JO de Salt Lake
City, il fait jouer ses réseaux pour obtenir que la ville russe de Sotchi
accueille les Jeux olympiques d'hiver de 2014. L’esprit olympique dans toute sa
splandeur…
Samaranch n’a pas seulement le goût pour les fastes
fascistes, il en a pour le faste tout simplement. Président du CIO, il demandait
qu’on l’appelle « votre excellence » et exigeait une limousine avec chauffeur
ainsi qu’une suite présidentielle lors de ses déplacements. Afin de remplir les
caisses du CIO et d’augmenter d’autant le train de vie de ses membres, il
décréta que le sport ne pouvait plus vivre sans sa commercialisation et mit ses
idées en application avec force bousculant les derniers oripeaux symboliques
dont les JO prétendaient encore se draper. On lui doit les JO d’Atlanta en 1996
dénommé Jeux Coca Cola à cause du parrainage exclusif qu’il octroya à cette
compagnie. Ce membre éminent de l’Opus Dei fut également impliqué dans nombre
des affaires de corruption qui éclaboussèrent le CIO.
Le CIO s’est structuré sous sa houlette comme une
véritable multinationale, avec ses banquiers, ses juristes et ses experts en
marketing. Divisé en 15 départements, il emploie plusieurs centaines de
personnes. Depuis Los Angeles, on sait en effet que l’organisation de JO peut
devenir très rentable et non plus coûter de l’argent à la ville organisatrice.
Le CIO a su parfaitement profiler ses intérêts dans ce contexte. Il est
propriétaire de la marque « Jeux Olympiques » et de tous les symboles qui s’y
attachent (drapeau, devise, hymne,…). Il perçoit le tiers des colossaux droits
de télévision. Il faut savoir que rien que pour les droits de retransmission aux
États-Unis de ces JO de Pékin 2008, NBC a déboursé 894 millions de dollars et
ceux des jeux d’hiver de 2010 à Vancouver et d’été de 2012 à Londres et lui
couteront un chèque de 2,201 milliards de dollars (1,880 millions d’euros), soit
une progression de 32,6% par rapport au dernier contrat.
On estime la totalité des droits de retransmission pour
les Jeux de Pékin et les Jeux d’hiver de Turin en 2006 à 2,5 milliards de
dollars (dont 1,74 milliards de dollars pour Pékin). Pour ceux de 2010 et 2012,
le CIO compte gagner plus de 3 milliards de dollars. On le constate, la devise
olympique Citius-Altius-Fortius(plus vite, plus haut, plus fort)
s’applique bien à ses droits. Le CIO touche par ailleurs 3 % de chaque contrat
commercial lié aux JO et 10 % des bénéfices constatés à l’issue des Jeux. En
2008, le sponsoring a rapporté 866 millions de dollars au CIO. Pour Pékin, le
budget avoué est de 42 milliards de dollars et l’on ne s’étonne donc pas que
contrairement aux timides déclarations, la course au gigantisme ne s’arrête pas
puisque le premier bénéficiaire en est le CIO lui-même. L’essentiel des biens du
CIO sont répartis dans deux fondations de droit suisse qu’il contrôle.
Les JO sont l’expression la plus parfaite de
l’instrumentalisation du sport à des fins réactionnaires et de colonisation
idéologique. Ainsi que le note Jean-Marie Brohm, dans son apparition et tout au
long de son processus d’institutionnalisation, le sport - improprement qualifié
de « moderne » par ceux qui voudraient faire croire à une continuité, à une
unité avec des sports dits antiques, médiévaux, traditionnels ou encore
exotiques - est « consubstantiellement intégré au mode de production capitaliste
et à l’appareil d’État bourgeois ». Le sport de compétition est en effet porteur
de toutes les « valeurs » capitalistes qu’il contribue à plébisciter en les
présentant comme « naturelles » : lutte de tous contre tous, sélection des
« meilleurs » et éviction des « moins bons », transformation du corps en une
force essentiellement productive, recherche du rendement maximum et de son
exploitation optimale (la performance). Les principes constituants du sport
comme sa terminologie (compétition, rendement, performance, record) reflètent
d’ailleurs les catégories dominantes du capitalisme industriel.
Dans le même temps, le sport sert à l’occultation des
conflits politiques et sociaux, au contrôle social des populations et à la
justification des inégalités sociales en diffusant l’idée qu’efforts et
sacrifices permettent de facto d’accéder à l’élite. Poison parmi les
poisons, il sert également à l’édification d’une identité nationale basée sur
l’affrontement, l’opposition à l’autre. Pour le sociologue Jacques Ellul, ce
n’est dès lors pas non plus un hasard si le sport a toujours été l’enfant chéri
des gouvernements dictatoriaux, fascistes et nazis, mais aussi du socialisme
(dit) réalisé, « au point de devenir un élément constitutif indispensable de ces
régimes ». On comprend aisément que le capitalisme totalitaire des chinois ait
absolument voulu recevoir les jeux à Pékin.
Tout ceci trouve sa traduction limpide lorsque l’on
regarde crument la liste de celles et ceux qui aujourd’hui encore organisent -
contrôlent – les JO (et partant instrumentalisent le sport « moderne » tout
entier). On y retrouve un mélange fait d’aristocratie, d’élite politique
droitière (parfois extrême) et de représentants de la sphère économique (médias,
construction, finance, armement,…).
La mutation du CIO et de l’esprit des jeux peut être
mise en parallèle avec l’œuvre de Samaranch et de l’Espagne en ce temps-là. Pour
sortir de la crise économique apparue en 1956, Franco s’entoure progressivement
de ministres appartenant à l’Opus. Lorsqu’il songe à rétablir la monarchie, en
la personne de Don Juan de Bourbon, pour lui succéder, l’Opus Dei mise sur son
fils, Juan Carlos, qui est entre les mains d’un précepteur de l’Œuvre, Anael
Lopez Amo. En 1969, Franco proclame Juan Carlos héritier de la Couronne.
Quelques mois plus tard, le triomphe de l’Opus est complet : sur 19 ministres du
neuvième gouvernement du général Franco, 12 sont membres de l’Opus Dei. Le
tournant politique de l’Œuvre est engagé. Cette conquête du pouvoir se
poursuivra avec la nomination de Jean Paul II et la chute du communisme. Mais
c’est une autre histoire…
L’idéal des jeux, entraîne conjointement celui des
intérêts financiers qui l’accompagne. L’argent qui a gangréné le monde politique
a également totalement pollué celui du sport. C’est le principe même des valeurs
humaines les plus nobles qui est totalement corrompu par la vénalité. Le
catholicisme qui a depuis toujours été corrompu par son goût pour le faste et la
gloire, a su entraîner le monde dans sa débauche, en corrompant toutes les
instances qu’elle contrôle, celle du CIO ne faisant plus exception désormais.
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